Lorsque vous lisez les sites de détectives privés, vous verrez souvent la mention suivante « les rapports sont recevables en justice ». Cependant, la réalité est plus nuancée car cela dépend de la juridiction, des diligences d’enquêtes réalisées, de la procédure, etc…
Ainsi, je souhaite éclaircir la situation en établissant une liste jurisprudentielle à destination des professionnels du droit, des étudiants et des lecteurs courageux.
Formalisme du rapport
L’arrêt de principe de la Cour de Cassation, dit arrêt Torino, du 7 novembre 1962, établit qu’un rapport de détective privé en matière civile peut être admis comme une pièce de procédure, à condition de respecter le formalisme suivant : « … l’auteur du rapport doit être identifiable, que l’offre de preuve soit légale et licite, que les témoignages soient précis, détaillés et circonstanciés et qu’aucune animosité à l’égard d’une des parties ne se dégage… ».
Cependant, par la suite d’autres jurisprudences ont rejeté les rapports de détective privé en arguant du lien de subordination de l’ARP avec son client. Dès lors, la Cour de Cassation a réaffirmé en 1977 que « Le rapport de surveillance privée est admis et ne peut être rejeté au seul motif que le détective était payé » (Cass. 2e civ. 12 octobre 1977).
La Cour de Cassation rappelle également que la non-conformité d’un rapport de détective privé au formalisme imposé par l’article 202 du Code de Procédure Civile ne peut conduire à l’écarter des débats : « … qu’en écartant les trois rapports des détectives produits par Monsieur F. pour établir l’adultère de son épouse au seul motif qu’ils ne respectaient pas les dispositions de l’article 202 du Code de Procédure Civile, la Cour d’appel a violé le texte susvisé …» (Cour de cassation, Deuxième Chambre civile, Arrêt nº 1189 du 12 novembre 1997, Pourvoi nº 94-20.322).
Enfin, les rapports de détectives privés disposent de la même force probante que les procès-verbaux rédigés par les officiers de police judiciaire : « Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux et les rapports constatant les délits ne valent qu’à titre de simples renseignements…» (Article 430 du Code de Procédure Pénale) ; « … il est de jurisprudence constante que les procès-verbaux de détective privé dont Monsieur établit devant la Cour l’agrément, peuvent être utilisés à titre de renseignements… » (Cour d’appel d’Aix-en-provence, 6ème Chambre A, Arrêt du 9 septembre 2010, Répertoire général nº 09/15023).
Droit civil
La jurisprudence civile fixe des règles strictes en matière d’admissibilité de la preuve : loyauté, proportionnalité, respect de la vie privée.
En matière civile, les rapports de détective privé sont acceptés au nom de la liberté et du droit à la preuve. En effet, l’arrêt de la cour d’Appel de Caen, Chambre civile, du 04 avril 2002, n°01/01952 précise que :
« Les éléments recueillis par les constatations effectuées par un détective privé sont admissibles en justice selon les mêmes modalités et sous les seules mêmes réserves pour tout autre mode de preuve ».
Le jurisprudence civile est particulièrement favorable, notamment dans le cas de l’adultère ou du divorce :
« Dans le cadre d’un divorce, le recours à un détective privé qui n’empiète pas sur la vie privée de la personne surveillée et se limite à des constatations objectives sur des faits se déroulant dans un lieu public est admis au nom du principe de liberté de la preuve ». CA Versailles, 5 juin 2007. – RG n° 05/08465
« Les constatations faites dans l’espace public par un détective privé ne constituent pas une atteinte à l’intimité de la vie privée et ne sont pas disproportionnées par rapport à l’établissement d’une violation de ses obligations conjugales par l’époux. » CA Versailles, 21 novembre 2006 – RG n° 05/05631 / CA Amiens, 22 novembre 2006 – RG n° 05/05178.
La filature, bien qu’elle soit effectuée à l’insu d’une personne, n’a pas été considérée comme déloyale par nature, car le détective est un professionnel chargé de recueillir, même sans faire état de sa qualité ni révéler l’objet de sa mission, des informations ou renseignements (article L621-1 du Code de la sécurité intérieure).
On note également que les rapports se suffisent à eux même, et ne nécessitent pas forcément d’être appuyés de photographies :
« Dans le cadre d’un divorce, dont les griefs invoqués touchent nécessairement à la vie privée, le rapport d’un détective privé rédigé dans des conditions régulières qui permettent la contestation est assimilé à une attestation émanant d’une personne au service d’une partie, et les constatations de l’enquêteur sur l’attitude intime du couple non corroborées par des photographies ne décrédibilisent pas ce rapport ». CA Versailles, 3 octobre 2006 – RG n° 04/0780
Droit du travail
Il s’agit d’un point noir pour les détectives privés. En effet, la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de Cassation rejettent les rapports de détectives. En cause, l’obligation légale d’informer au préalable les salariés de toute surveillance à leur encontre (article L1222-4 du Code du travail) et l’atteinte à la vie privée au visa de l’article 9 du Code Civil.
Il est très rare que l’information transmise au salarié mentionne l’intervention d’un agent de recherches privées comme moyen de surveillance. Les rapports de surveillances & filatures menées par un détective privé sont donc écartés :
« Une filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu’elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l’employeur. » Cass. soc. 26/11/2002 n°00-42401, publié au bulletin.
Ainsi, les détectives privés ont cherché des moyens de contourner ces obstacles, en utilisant notamment la procédure du constat d’huissier sur ordonnance sur requête (145 CPC et 493 CPC), car le juge des requêtes n’est pas tenu par le droit du travail.
Résultat : carton rouge de la Cour de Cassation (Cass. Civ., 2ème ch., 17 mars 2016, n°15-11412) : « le droit à un procès équitable et le principe de la loyauté de la preuve interdisent au juge de se fonder, même partiellement, sur un moyen de preuve illicite …»
La Cour de Cassation a même considéré, dans le cadre d’un contentieux portant sur une clause de non concurrence, que le fait d’avoir fait suivre son ancien salarié pendant plusieurs heures par un détective privé constitue un comportement déloyal de la part de l’employeur justifiant une condamnation à verser des dommages-intérêts au salarié : Cass.Soc.26/12/2018 n°2017-16020.
Il existe cependant des méthodes afin de contourner ces jurisprudence défavorables. Tout d’abord, le détective privé peut axer ses investigations sur les locaux du concurrent plutôt que de suivre le salarié, pour ensuite faire intervenir un huissier muni d’une ordonnance sur requête. L’employeur devra agir en concurrence déloyale (devant le tribunal de commerce) pour confondre le concurrent indélicat et sanctionner ensuite valablement le salarié (cass. soc. 28/01/2015 n°13-18354).
De même, le rapport d’un détective privé peut contribuer à étayer une plainte pénale en cas de vol ou d’une autre infraction. Cette démarche offre une alternative face à la complexité de surveiller les salariés, en se fondant sur le principe de la liberté de preuve en droit pénal. Cependant, elle n’élimine pas entièrement le risque d’une action prud’homale ou civile de la part du salarié concerné. L’approche idéale serait d’organiser une constatation en flagrant délit grâce aux informations fournies par le détective privé, sans faire usage de son rapport dans la procédure pénale qui suivrait
Le constat ou la sommation effectués par un huissier sur la voie publique représentent également des options pertinentes, étant donné qu’ils ne requièrent pas l’aval d’un juge. Le recours à un détective privé se fait alors en toute discrétion. Son rôle consiste à dissiper les interrogations du client, à déterminer le lieu, la nature et les horaires des faits incriminés, pour ensuite mobiliser l’huissier de manière légale (Cass. soc. 06/12/2007, n°06-43392).
Enfin, il existe certaines jurisprudences favorables lorsque le détective privé n’a pas réalisé de filatures : « Dans le cadre d’un licenciement, ne porte pas atteinte à la vie privée du salarié le rapport d’un détective qui ne peut être assimilé à une filature et ne constitue qu’une simple collecte de renseignements n’ayant pas servi à motiver le licenciement. » CA Colmar, 14 avril 2009 – RG n° 08/01993.
Droit commercial
Dans les contentieux commerciaux, la surveillance des activités extraprofessionnelles d’une personne peut être disproportionnée au regard du but recherché, et ainsi écarté du fait de son irrégularité :
« Dans un contentieux de concurrence déloyale, est disproportionnée par rapport à la défense des intérêts en cause l’atteinte au respect de la vie privée constituée par la production de compte-rendu de filatures réalisées à l’insu de la personne et faisant état de ses activités personnelles ». CA Orléans, 25 octobre 2007. – RG n° 05/00145
En revanche, la surveillance d’un détective privé peut être admise sous conditions de se limiter uniquement aux aspects de la vie professionnelle de la personne suivie : « Dans un contentieux de concurrence déloyale, les investigations menées par un détective privé qui ne concernent que les aspects de la vie professionnelle de la personne surveillée sont accueillis au nom de la liberté de la preuve de la violation d’une clause de non – concurrence … ». CA Chambéry, 20 mai 2008 – RG n°07/02162.
Droit administratif
En matière administrative, la surveillance et/ou la filature d’un agent public est plus aisée qu’en matière prud’homale.
En effet, le Conseil d’État a estimé qu’une sanction disciplinaire basée sur le rapport d’un détective privé, faisant état de l’activité professionnelle d’une personne dans des lieux ouverts au public, n’est pas un manquement à l’obligation de loyauté de l’administration (Arrêt n°355201 du 16 juillet 2014). Cela implique qu’il est licite de surveiller un fonctionnaire exerçant une activité professionnelle lucrative non autorisée, ouvrant ainsi de nouveaux débouchés pour les détectives privés.
La conclusion sur les rapports de détective
Pour résumer, les rapports de détective privé sont plutôt bien accueillis par les magistrats lorsqu’ils sont rédigés dans les conditions listées par la jurisprudence, dans le cadre d’une procédure civile, commerciale ou même administrative.
Dans le cas du droit du travail, il faudra nécessairement passer par des mesures alternatives : constats d’huissier sur la voie publique, action contre le concurrent ou au pénal, afin d’éviter le rejet du rapport par les juridictions prud’homales.